Vendredi 7 avril 2006 - Sardine, quand tu nous tiens
Avez-vous déjà été atteints d’une montée de sardine grillée ? A Alger, c’est une addiction bien connue, vous vous baladez, il est l’heure de déjeuner, et là, l’un de vos amis n’a qu’une seule obsession : manger de la sardine grillée, ou à la limite une petite friture de sardine….Il y pense généralement le matin, dès le réveil, et cette addiction est souvent en phase avec le temps printanier et le soleil éclatant de blancheur qui inonde Alger….. Vous aussi, vous vous mettez à saliver et là, la grande quête commence…. Alger centre, quartier du Sacré Cœur, en haut de la rue Didouche Mourad, à quelques mètres du Parc de Galland, Mustapha et sa petite gargotte, toujours bondée. Des cadres du Ministère, des peintres et des maçons, une vieille dame élégante, on se case comme on peut, chez Mustapha, alignés sur les tables et avant même de passer le pas de la porte, on demande, un peu inquiet : « Mustapha, keyenne esserdine lyoum ? », Mustapha débite sa sentence, il nous invite à nous asseoir et désigne deux places…. Immédiatement la bouteille de Sélecto ou de Hamoud étiquette blanche atterrit sur la table, et quelques minutes plus tard, la petite assiette, avec les sardines tant convoitées, accompagnées de deux quartiers de citron, mmmmmmm…. Plonger les doigts dans la sardine bien chaude, frite comme il se doit, la casser en deux, quelques gouttes de citron, la mordiller, doucement lentement, puis se jeter sur la deuxième, un peu enragé, puis la troisième, puis la quatrième, plus rien n’existe autour de vous, juste les sardines qui, lascives, sur la petite assiette fleuries, attendent que vous les portiez à votre bouche, destination ultime, afin qu’elle se noient une dernière fois dans un océan de Hamoud…Soulagement, les yeux brillent de contentement, l’addiction disparaît, un bon café noir, et comme dit la chanson « Et c’est parti pour le show…. », non sans avoir lancé un regard éperdu de reconnaissance à Mustapha que vous bénissez d’exister……
Parfois, Mustapha vous regarde de son air désolé, en secouant la tête, toutes les sardines ont été avalées, il n’y en a plus une seule, mais vous, le dos légèrement voûté par la mauvaise nouvelle, vous ne vous laissez pas abattre, car l’espoir est là, quelques mètres plus bas, sur l’autre trottoir, en face de la pompe à essence du Sacré cœur, à la taverne….. Facile à retrouver la taverne, car le nom est gravé en mosaïque, sur le trottoir en face de la porte d’entrée…. Ah la taverne, sa lumière particulière générée par les lourds rideaux qui filtrent la lumière, son bar, au fond, ses affiches d’Alger au lendemain des années 60, ses petites chaises bistrot en bois, oui, il y a des sardines, grillées cette fois –ci, accompagnée d’un verre de vin et d’une salade de tomates…. Elles arrivent, elles sont là, plus épaisses, moins fines, moins tortueuses, elles sont là, dodues, grillées, étalées sur la petite assiette blanche, elles se défont entre vos doigts et en attaquant de concert la chair de ces belles dodues, on se regarde, le verdict tombe « mmmmmm, elles sont bonnes…. », soulagés, les doigts farfouillent dans la chair duveteuse, la chair fond dans la bouche avant même de commencer à mâcher, l’odeur des ports et de la mer envahit vos sens, je suis sur le sardiner, il est 5 heures du matin, on approche de la côte, la vente à la criée va débuter, les sardines sont là luisantes, certaines sont encore frétillantes, inquiète de leur nouvelle vie dans les petites assiettes des bars et des gargotes algériennes, certaines finiront en beignets dans la poêle exigeante d’une mamma, d’autres vivront leur dernier ballet aquatique dans la sauce rouge piquante d’une chtitha, aquarium en fer blanc d’une grosse marmite dont le contenu sera dévoré par la masse laborieuse des ouvriers et des maçons…..
Sardines, je vous aime……